Les musiciens utilisent le terme « sideproject » lorsque, voulant prendre un peu d’air, ils créent des projets en parallèle de leur groupe. Souvent plus personnels, plus exubérants, cet espace de liberté donne la vraie mesure de ce qu’ils aiment jouer et produire. En-dehors des musiciens, combien de gens ont-ils des sideprojects ? Combien existe-t-il de coiffeuses-peintres, de taxis-cinéphiles, de serveurs-écrivains, de concierges-sculpteurs, de professeurs-danseurs-de-tango ? Ce que nous faisons le soir et le week-end, avec une enthousiasme gratuit, débordant, montre bien l’importance existentielle de faire des choses en-dehors 1-du capitalisme 2-de la famille 3-de toute forme d’obligation. Et pour beaucoup, le « sideproject » est, en réalité, le projet.
Le monde du vin n’y échappe pas. Il existe des vignerons qui, par choix ou par manque de moyens, cultivent la vigne et vinifient en « sideproject ». Certains d’entre eux font leurs gammes avec quelques hectares, parfois sur des surfaces très réduites (je pense à Stéphane Lucas et à ses 0,77 hectares), et arrivent, bon an mal an, à sortir quelques bouteilles chaque année. D’autres ont des surfaces plus grandes, mais n’ont pas le loisir de s’y consacrer autant qu’ils le souhaiteraient.
C’est le cas de Luc de Roeck, du Domaine Fontaine, à Visan. Propriétaire d’un gîte, mais aussi musicien, ex-sculpteur et… agent immobilier à temps partiel, Luc de Roeck est un vigneron très à part. Il nous a reçu par une journée caniculaire d’août sur la terrasse de sa jolie maison, entièrement rénovée par ses soins.
Vigneron pas-pour-toute-la-vie
Il y a dix ans, Luc de Roeck, d’origine anversoise, visite un vieux corps de ferme à Visan avec sa femme. La maison est à l’abandon. Alors qu’il n’avait jamais fait de vin, la présence des vignes le convainc d’acheter : « On a remarqué qu’il y avait un vignoble en mauvais état derrière la maison. J’ai fait des études d’ingénieur agronome ; j’avais le pouce vert (sic). J’ai toujours été très intéressé par les questions d’écologie, alors, je me suis lancé. »
« 7 hectos hectares ?
C’est le Chanel du Rhône sud ? »
Un ami souhaitant rester anonyme
Avec un peu moins de 2 hectares qu’il cultive en biodynamie (cornes de vaches exclues), Luc de Roeck produit, avec un rendement de 7 hectos hectares, environ 800 bouteilles par an… dans les bonnes années. « C’est le Chanel du Rhône sud ? » lance, taquin, un ami oenophile en quête de raretés. Quand le mildiou détruit ses vignes, que la météo fait des ravages ou que la vigne est capricieuse, les rendements sont nettement moins importants : entre 200 et 300 bouteilles par an.
Il faut s’accrocher, donc, pour trouver des bouteilles du Domaine Fontaine dans les restaurants à la mode. Si vous tombez sur un flacon, pas d’hésitation : après 10 ans d’essais, d’erreurs et d’expériences, le résultat est là. L’habituelle puissance du Grenache est travaillée de manière très délicate, aérienne. Le 2016 avait un surprenant nez de cannelle, avec des tannins soyeux. Le 2014, à la couleur framboisée, se croquait comme une petite fraise bien poivrée. « Envisagez-vous un jour d’arrêter de faire du vin ? » demande Laurent, au micro de RadioVino. « Peut-être… » répond Luc de Roeck. « Il ne faut pas trop s’attacher aux choses » ajoute-t-il, un brin philosophe.
Un rêve d’enfant
Le vigneron Olivier Trombetta, lui, a une histoire un peu différente. Son domaine, « Le Cri de l’Araignée », à Sainte-Cécile-les-Vignes (Côtes-du-Rhône) jouit déjà d’une solide réputation. On trouve ses cuvées aux cartes des étoilés, et son nom circule largement dans le petit monde des vins nature. Avec six hectares de vignes, il n’est pas ce qu’on peut appeler un outsider. Mais l’économie de la vigne, fragile et incertaine, ne suffit pas toujours à en vivre.
En semaine, donc, Olivier Trombetta gère un domaine à Sainte-Cécile-les-Vignes en tant que salarié. Le soir, le week-end, en vacances et dès qu’il le peut, il se rend sur ses terres. Ses cuvées, qu’il signe avec son associé Philippe Mayoud, restent pour l’instant son « sideprojet », en attendant de devenir son activité principale : « On a commencé tout petit, avec 2,5 hectares. C’est pour ça qu’on s’est appelé deux de nos cuvées « Les Grands Enfants ». Faire du vin pour nous-mêmes, c’était un rêve d’enfant ! » dit-il avec un sourire. « À terme, on aimerait cultiver 15 hectares, et se diriger vers un petit négoce, mais ce n’est pas pour demain. »
Leur vigne a subi les contrecoups des vendanges difficiles, de la météo capricieuse, des coulures, du mildiou, et tout ce qui peut décourager un vigneron pas convaincu. Pourtant, leur détermination est inébranlable : leurs vins ne reçoivent pas une goutte de pesticide depuis la création du Domaine il y a dix ans, et ils continuent à gagner de nouveaux arachnophiles.
On a goûté, avec Olivier et Philippe, directement sur les caisses de vin, « Le Cri de l’Araignée », cuvée Taiut 2018 (Carignan/Grenache) : un très beau nez de cerise noire et de chocolat, dont la bouche, aux tannins structurés, nous a donné envie d’en reprendre encore. Première Toile 2018, l’autre cuvée du Cri de l’Araignée (Mourvèdre/Grenache) était plus chaud, avec des tannins assouplis par le moelleux d’un délicieux nez de pruneaux, d’épices et de dattes iraniennes.
Nous repartons avec un petit carton de bouteilles sous le bras, offert généreusement par Trombetta. Comment ne pas être émus ? Pruine et RadioVino sont aussi nos sideprojects ; et malgré le temps infini qu’ils demandent, c’est pour des moments comme ceux-ci qu’on ne voudrait jamais s’arrêter.
Olivier Trombetta
Le Cri de l’Araignée
711 Chemin des Écoliers
84290 Sainte-Cécile-les-Vignes
Luc de Roeck
Domaine Fontaine
221 Rue de Notre Dame
84820 Visan