Corps diplomatiques

Nous avons roulé vers le Mas de Libian, en Ardèche, sans savoir où l’on mettrait les pieds. J’avais lu le portrait d’Hélène Thibon dans Grandeur nature, d’Evelyne Malnic (éd. Dunod, 2018) et quelque chose, dans le discours, dans le geste, dans l’élégance de l’étiquette, m’attirait instinctivement. 

Grandeur nature, Evelyne Malnic, éd. Dunod, 2018.

« Vous quittez le département de la Drôme. Au revoir et à bientôt » nous dit le panneau, avant le pont blanc qui enjambe le Rhône. « Vous êtes en Ardèche, bienvenue ! » nous indique celui sur l’autre rive. À l’extrémité est du département, le paysage est plutôt plat, et les cépages sont ceux du Rhône sud : Grenache + Mourvèdre + Syrah + Counoise + Vaccarèse.  À tous égards, le dépaysement n’est pas total. Le vrai choc, le vrai voyage, commencera quelques minutes plus tard, quand, à peine garés dans l’entrée du Mas, cinq chiens foufous nous accueillent avec des aboiements de bienvenue. « Celui-ci est habitué à garder les troupeaux » nous dit Hélène. « Regardez, ils nous entraînent… ». Et voilà notre petite troupe escortée par tous ces joyeux toutous jusqu’à la table où nous installerons notre matériel.

Hélène Thibon au micro de RadioVino.

Les Plaisirs et les Jours

Le Mas de Libian est traversé par une histoire profonde. L’ambiance y est sereine et harmonieuse. La famille d’Hélène y vit depuis 1670, et cette marque du temps se lit dans chaque pierre posée, dans chaque phrase prononcée. Ce paradis ancien, empreint d’une histoire paysanne séculaire, subsiste à la fois par le besoin de se nourrir et l’envie de faire le bien. « Ici, au Mas de Libian, nous sommes quasiment auto-suffisants » commence doucement Hélène Thibon. « Pour survivre, il nous faut peu de choses. Du gras : nous avons les oliviers. Du sucre : nous avons les abeilles. Des fruits et des légumes : nous avons deux immenses potagers. Des céréales et du foin, pour les animaux. Un jardin, pour la beauté. Et la vigne, pour tout le reste. » « C’est tout ? » « C’est tout. » « Mais, vous êtes végétariens ? » « Non, mais nous mangeons de la viande comme des paysans — c’est-à-dire très peu. » 

« Nous mangeons de la viande comme des paysans — c’est-à-dire, très peu. »

Je demande à Hélène ce que cela fait que de vivre, tous les jours de sa vie, dans un tel paradis. « C’est à la fois une chance et une responsabilité » dit-elle en nous emmenant vers ses vignes, cachées derrière une forêt où nous rencontrerons Bambi, le cheval de trait, et Clochette, la petite ânesse dressée pour le travail. « Avant, les paysans luttaient contre la nature car tout était agression. Il n’a pas fallu un siècle à l’humanité pour tout détruire. Désormais, nous sommes passés de l’autre côté : nous avons le devoir de la protéger. Quand nous devons arracher un arbre parce qu’il est malade, on en vient à se poser la question deux fois… Il reste si peu de végétation qu’aujourd’hui, un arbre est un arbre » dit-elle, un filet de mélancolie dans la voix.   

Bambi et Clochette viennent nous saluer.

L’âme des animaux

Hélène Thibon parle de ses animaux avec un respect et une tendresse qui rappelle celle des mères. Elle qui a toujours grandi sur ce domaine semble percevoir intimement la vie psychique de ses animaux, qui le lui rendent bien. « Voici Bambi, avec sa magnifique crinière blonde. Il a perdu son meilleur ami, Nestor, un cheval qui a travaillé longtemps avec nous. Il en a été très affecté, mais depuis que Clochette est là, il est très heureux. Quand l’un va au travail, l’autre braille toute la journée… et vice-versa. Ils sont devenus inséparables. »

Ici, les animaux sont plus que des outils de travail. Chacun d’entre eux a une histoire, une personnalité et une âme. Ils traversent des histoires d’amour, des grandes joies, ont des chagrins et font même des dépressions.

« Nous avions deux oies qui s’aimaient beaucoup », continue Hélène. « Les oies, vous savez, restent en couple toute leur vie. Un jour, un renard a mangé la femelle. Le jars était tellement malheureux qu’il est devenu fou. Il a commencé à piquer son bec contre la fenêtre du salon, comme si, dans le reflet de la vitre, il retrouvait l’image de sa madame (sic). Il était inconsolable ! On lui a présenté une nouvelle oie, mais ça n’a pas marché. Les mariages arrangés, ça ne marche pas. On a fini par le laisser dans un bain, avec une petite glace, pour qu’il se regarde et continue à se raconter des choses douces. Il ne s’en est jamais remis. » 

Hélène et les Mourvèdres.

Défense du pastoralisme

Nous poursuivons la découverte de son domaine, toujours escortés par ses chiens qui nous ouvrent la voie, nous attendent, viennent nous chercher et s’amusent, fiers, à nous présenter leur merveilleux territoire. « Il faut savoir que les animaux veulent faire plaisir à leur maître » nous dit Hélène en parlant de ses chiens. « La relation maître à esclave, c’est toujours voué à l’échec. C’est ce que l’agriculture conventionnelle a imposé à ses animaux. Regardez là où ça nous a menés ! » Le ton monte, la colère avec. Ardente militante du pastoralisme, c’est-à-dire d’une agriculture qui met à égalité, et de manière interdépendante, les animaux, les troupeaux et les lieux exploités, Hélène Thibon estime, par la mise en jeu de son propre corps dans l’exploitation, que les humains sont, en quelque sorte, des animaux au travail comme les autres. Cette diplomatie particulière, où le corps du paysan se met au même niveau que celui des animaux, l’oblige, elle et sa famille, à une intense discipline physique. « Nous n’allons pas au ski, nous ne faisons plus d’équitation. Il n’est pas question de se faire une rupture des ligaments croisés qui nous exclurait des vendanges ! Notre corps est notre outil de travail. »

« Nous n’allons pas au ski, nous ne faisons plus d’équitation. Notre corps est notre outil de travail. »

Tous les animaux, cependant, ne jouissent pas d’une telle aura bienfaitrice : « Ah, les sangliers et la vigne. C’est une grande histoire d’amour ! » s’exclame-t-elle, entre rire et colère. Friands des raisins non-traités, ils ont dévasté maintes et maintes fois ses vignobles. Considérés comme « nuisibles », ils sont en surnombre dans la région en raison des chasses récréatives. Pour s’en débarrasser, les chasseurs lui donnent un sérieux coup de pouce mais, lorsque c’est nécessaire, elle fait appel aux Lieutenants de louveterie : un corps de chasse créé sous François 1er pour aider les paysans à chasser légalement les loups. Aujourd’hui, ces lieutenants sont dépêchés pour tuer renards et marcassins afin de faire partir les mères hors des cultures. Bref, une exploitation agricole, ce n’est pas Disney tous les jours… 

Histoire d’une famille 

Au Mas de Libian, toute la famille est impliquée dans le travail de la vigne et des champs. Sans grande surprise, elle nous confirme que ce sont les femmes qui restent les fortes têtes : « Chez nous, c’est un peu une matriarchie… ». La mère d’Hélène, Jacqueline, cardiologue de formation, a fini par abandonner la médecine pour la vigne, « par amour. Aujourd’hui, elle est devenue quasiment vétérinaire ». Catherine, la soeur d’Hélène, raffole des machines et des tracteurs : c’est elle qui décavaillonne, laboure, chausse et déchausse la vigne avec l’aide de Clochette et Bambi. Mais il n’y a pas que des femmes. Le mari d’Hélène, Alain, ainsi que leur fils, Aurélien, sont aussi de la partie. Le père, Jean-Pierre Thibon, qui lisait Omar Khayyâm à ses filles avant de les endormir (« ou pour nous endormir ! » ajoute Hélène), entre deux vers de Victor Hugo, travaille encore aujourd’hui au Mas de Libian.

Les bottes du grand-père d’Aurélien, Jean-Pierre Thibon dit « Papou », à l’entrée du chai.

C’est d’ailleurs en souvenir d’Omar Khayyâm que la famille Thibon a créé leur cuvée éponyme, « Khayyâm ». Un très bel assemblage Grenache + Mourvèdre + Syrah aux notes légèrement orientales d’épices et de pruneaux, de fruits confits et de bois. « Omar Khayyâm adorait le vin et les femmes ; c’est un poète que j’ai appris à apprécier plus tard. » Le résultat, poétique, se déguste lentement, comme l’est le travail de la vigne, et comme l’est celui des mots, lui qui écrit :

Je posai ma lèvre ardente

sur la lèvre du pichet,

Implorant de sa science

le secret d’éternité.

Mas de Libian
965 Libian
07700 Saint-Marcel-d’Ardèche

Pour écouter le reportage, c’est ici :

Radio Vino · Filles de vignes, ép. 3 : Les corps diplomatiques

Sideways

Les musiciens utilisent le terme « sideproject » lorsque, voulant prendre un peu d’air, ils créent des projets en parallèle de leur groupe. Souvent plus personnels, plus exubérants, cet espace de liberté donne la vraie mesure de ce qu’ils aiment jouer et produire. En-dehors des musiciens, combien de gens ont-ils des sideprojects ? Combien existe-t-il de coiffeuses-peintres, de taxis-cinéphiles, de serveurs-écrivains, de concierges-sculpteurs, de professeurs-danseurs-de-tango ? Ce que nous faisons le soir et le week-end, avec une enthousiasme gratuit, débordant, montre bien l’importance existentielle de faire des choses en-dehors 1-du capitalisme 2-de la famille 3-de toute forme d’obligation. Et pour beaucoup, le « sideproject » est, en réalité, le projet.

Le monde du vin n’y échappe pas. Il existe des vignerons qui, par choix ou par manque de moyens, cultivent la vigne et vinifient en « sideproject ». Certains d’entre eux font leurs gammes avec quelques hectares, parfois sur des surfaces très réduites (je pense à Stéphane Lucas et à ses 0,77 hectares), et arrivent, bon an mal an, à sortir quelques bouteilles chaque année. D’autres ont des surfaces plus grandes, mais n’ont pas le loisir de s’y consacrer autant qu’ils le souhaiteraient. 

C’est le cas de Luc de Roeck, du Domaine Fontaine, à Visan. Propriétaire d’un gîte, mais aussi musicien, ex-sculpteur et… agent immobilier à temps partiel, Luc de Roeck est un vigneron très à part. Il nous a reçu par une journée caniculaire d’août sur la terrasse de sa jolie maison, entièrement rénovée par ses soins.   

Vigneron pas-pour-toute-la-vie

Il y a dix ans, Luc de Roeck, d’origine anversoise, visite un vieux corps de ferme à Visan avec sa femme. La maison est à l’abandon. Alors qu’il n’avait jamais fait de vin, la présence des vignes le convainc d’acheter : « On a remarqué qu’il y avait un vignoble en mauvais état derrière la maison. J’ai fait des études d’ingénieur agronome ; j’avais le pouce vert (sic). J’ai toujours été très intéressé par les questions d’écologie, alors, je me suis lancé. » 

Luc de Roeck au micro de RadioVino. Visan, août 2020

« 7 hectos hectares ?
C’est le Chanel du Rhône sud ? »
Un ami souhaitant rester anonyme

Avec un peu moins de 2 hectares qu’il cultive en biodynamie (cornes de vaches exclues), Luc de Roeck produit, avec un rendement de 7 hectos hectares, environ 800 bouteilles par an… dans les bonnes années. « C’est le Chanel du Rhône sud ? » lance, taquin, un ami oenophile en quête de raretés. Quand le mildiou détruit ses vignes, que la météo fait des ravages ou que la vigne est capricieuse, les rendements sont nettement moins importants : entre 200 et 300 bouteilles par an.  

Dans les vignes de Luc de Roeck à Visan. Comme on peut le voir entre les rangs, elles ne sont ni désherbées, ni traitées.

Il faut s’accrocher, donc, pour trouver des bouteilles du Domaine Fontaine dans les restaurants à la mode. Si vous tombez sur un flacon, pas d’hésitation : après 10 ans d’essais, d’erreurs et d’expériences, le résultat est là. L’habituelle puissance du Grenache est travaillée de manière très délicate, aérienne. Le 2016 avait un surprenant nez de cannelle, avec des tannins soyeux. Le 2014, à la couleur framboisée, se croquait comme une petite fraise bien poivrée. « Envisagez-vous un jour d’arrêter de faire du vin ? » demande Laurent, au micro de RadioVino. « Peut-être… » répond Luc de Roeck. « Il ne faut pas trop s’attacher aux choses » ajoute-t-il, un brin philosophe.  

Deux cuvées du Domaine Fontaine : 2015 et 2016. Les étiquettes ont été peintes par la fille de Luc, l’artiste belge Fleur de Roeck.

Un rêve d’enfant 

Le vigneron Olivier Trombetta, lui, a une histoire un peu différente. Son domaine, « Le Cri de l’Araignée », à Sainte-Cécile-les-Vignes (Côtes-du-Rhône) jouit déjà d’une solide réputation. On trouve ses cuvées aux cartes des étoilés, et son nom circule largement dans le petit monde des vins nature. Avec six hectares de vignes, il n’est pas ce qu’on peut appeler un outsider. Mais l’économie de la vigne, fragile et incertaine, ne suffit pas toujours à en vivre. 

En semaine, donc, Olivier Trombetta gère un domaine à Sainte-Cécile-les-Vignes en tant que salarié. Le soir, le week-end, en vacances et dès qu’il le peut, il se rend sur ses terres. Ses cuvées, qu’il signe avec son associé Philippe Mayoud, restent pour l’instant son « sideprojet », en attendant de devenir son activité principale : « On a commencé tout petit, avec 2,5 hectares. C’est pour ça qu’on s’est appelé deux de nos cuvées « Les Grands Enfants ». Faire du vin pour nous-mêmes, c’était un rêve d’enfant ! » dit-il avec un sourire.  « À terme, on aimerait cultiver 15 hectares, et se diriger vers un petit négoce, mais ce n’est pas pour demain. » 

Olivier Trombetta au micro de RadioVino.

Leur vigne a subi les contrecoups des vendanges difficiles, de la météo capricieuse, des coulures, du mildiou, et tout ce qui peut décourager un vigneron pas convaincu. Pourtant, leur détermination est inébranlable : leurs vins ne reçoivent pas une goutte de pesticide depuis la création du Domaine il y a dix ans, et ils continuent à gagner de nouveaux arachnophiles. 

On a goûté, avec Olivier et Philippe, directement sur les caisses de vin, « Le Cri de l’Araignée », cuvée Taiut 2018 (Carignan/Grenache) : un très beau nez de cerise noire et de chocolat, dont la bouche, aux tannins structurés, nous a donné envie d’en reprendre encore. Première Toile 2018, l’autre cuvée du Cri de l’Araignée (Mourvèdre/Grenache) était plus chaud, avec des tannins assouplis par le moelleux d’un délicieux nez de pruneaux, d’épices et de dattes iraniennes. 

Nous repartons avec un petit carton de bouteilles sous le bras, offert généreusement par Trombetta. Comment ne pas être émus ? Pruine et RadioVino sont aussi nos sideprojects ; et malgré le temps infini qu’ils demandent, c’est pour des moments comme ceux-ci qu’on ne voudrait jamais s’arrêter.

Olivier Trombetta
Le Cri de l’Araignée
711 Chemin des Écoliers

84290 Sainte-Cécile-les-Vignes

Luc de Roeck
Domaine Fontaine
221 Rue de Notre Dame

84820 Visan

Les femmes de Richaud

On ne sait jamais qui se cache derrière un vin. Les assemblages les plus audacieux ne sont pas forcément le fruit de personnages flamboyants. Des vins tenus et structurés peuvent avoir été élaborés par des punks au fond d’un garage. Cette surprise, cette appréhension aussi, je la ressens en littérature, quand je rencontre des auteurs dont j’ai aimé les livres.

Le Cairanne Blanc de Richaud (2017), dont je parlais ici, était tombé dans mon verre au milieu de l’été. Ce blanc rhodanien, suave et poivré, était un miracle en pleine canicule. Peut-être est-ce ce contexte de dégustation, extrêmement favorable, qui a influencé mon amour débordant pour les vins de Richaud. Mais j’ai ressenti un émoi aussi vif pour leur Cairanne rouge où, derrière le Grenache, la Syrah charriait d’entêtants effluves de pin et de montagne. Ce vin dessinait sur ma langue une cartographie gustative du paysage — la Drôme sur la langue. 

Le grand jeu

À peine arrivés à Cairanne, Marcel Richaud nous tend un verre pour nous souhaiter la bienvenue (il est 10h30 du matin). Les présentations faites, on descend au caveau pour tirer un peu de nectar à même les foudres. Goûter ? Le verre est littéralement rempli de Syrah en pleine transsubstantiation mystique.    

Solaire, passionné, Marcel est immédiatement attachant, comme ses vins. On discute le coeur ouvert de tout ce qui fait l’essentiel de la vie : l’amour, le vin, la mort. Comment ne pas être subjugués par autant de bonheur, celui, très particulier, qu’apporte le travail ? Au milieu de l’entretien, dans un moment de gaieté, Marcel décide d’ouvrir une bouteille d’Estrambord de… 2000. Pour ceux qui douteraient que les vins nature puissent être de grands vins de garde, je leur souhaite de tomber un jour sur ce genre de merveille. « Estrambord, ça veut dire quoi ? ». « C’est un mot provençal qui veut veut dire au-delà des limites, au-delà de soi-même », m’explique Marcel. Ce mot étrange roule dans ma bouche en même temps que le liquide, plein de fraîcheur et de fruits.

Estrambord, estranger, en-dehors, bords, étrange, étrangeté, stranger, stranieri, hors, d’abord, or, l’or.

 

Sur les contreforts de l’Ébrescade, Marcel cueille une feuille de Syrah pour ma petite étude d’ampélographie.  

Mais.
Mais. MAIS.
Le danger, dans les vignes, c’est d’être ébloui par le soleil.
Et Marcel n’est pas seul. Il y a toujours eu des femmes dans le vin, et l’histoire du Domaine Richaud, qui remonte au début du XXe siècle, n’y fait pas exception.

Les grandes femmes derrière les grandes femmes

Claire Richaud, la fille de Marcel, est arrivée au Domaine en 2015 pour y travailler comme maître de chai. « Le vin nature n’a rien de récent : c’est la tradition ancestrale du vin qui revient depuis trente ans, et ce type d’agriculture a toujours été accompagné par les femmes » explique-t-elle. « Aujourd’hui, les hommes qui travaillent dans le vin nature sont pourvus d’une grande sensibilité, plus féminine justement ».

Marie Richaud, l’arrière-arrière-grand-mère de Claire, avait pris soin des vignes seule, suite au décès de son mari à la guerre. Elle cède les rênes à son fils Raoul, avant que le Domaine ne soit transmis à Maryse, grand-mère paternelle de Claire. « Elle faisait la cuisine tous les matins pour les vendangeurs ! ». La mère de Claire, Marie, professeure de Lettres agrégée, a occupé une place tout aussi centrale dans l’exploitation, en orientant le Domaine vers de solides décisions stratégiques et commerciales — sans compter qu’elle occupe le rôle, selon Marcel, de « pilier » de la famille. Elle disparaît trop tôt, en 2015.  

Une racine qui ne meurt jamais

Quand Claire rejoint le Domaine, elle a une idée en tête : poursuivre la tradition tout en donnant aux vins un twist bien personnel. En plus d’assurer toutes les responsabilités en vinification et d’assurer diverses tâches administratives, Claire crée une cuvée « labo » : Bulbilles. Un vin qu’elle vinifie avec son frère Thomas, dans les caves de la famille.  

Bulbilles est un vin léger et réjouissant qui annonce un tournant très neuf à la maison, reconnue pour ses rouges tanniques et ses blancs aux accents de Bourgogne. « Quand je pense à l’Ebrescade, qui est un vin très viril, tannique, masculin, je me dis que c’est la création de mes parents. Moi, je voulais garder l’esprit Richaud, mais en faire quelque chose de léger, avec de la fantaisie. » Le nom peut faire penser à un petnat’. C’est pourtant un vin tranquille (sans être sage) : « En botanique, la bulbille est un petit bulbe qui part d’une racine déjà créée et qui ne meurt jamais. » Un bien joli symbole pour celle qui, très certainement, tracera l’avenir de la maison. 

On quitte le Domaine gais comme des pinsons. C’est ça qui est fou dans le vin : quand on connaît ceux qui les font, on les aime encore plus.

Domaine Richaud
470, route de Vaison-la-Romaine
84290 CAIRANNE

Pour écouter le reportage, c’est ici :

La vigne en face de la maison

J’ai demandé aux voisins s’ils savaient ce que c’était comme cépage. Ils ne savaient pas. C’est une vigne pas soignée et qui pousse quand même, qui étend ses racines, qui veut coloniser la terre. En pleine ville. À l’ombre. Elle commence seulement maintenant à vérer. Je vais lui donner un nom, car on s’attache aux choses quand on les nomme. On va l’appeler : Claude.

Pruine : nom féminin. Fine pellicule cireuse, naturelle, à la surface de certains fruits (prune, raisin) et champignons. Permet la vinification en absorbant quantité de levures et moisissures utiles à la fermentation.