J’ai découvert que les vins que je chérissais le plus, avant même de lire leur étiquette, contenaient systématiquement du Cabernet Franc. La première fois, c’était dans un Chinon « Beaumont » de Catherine & Pierre Breton, ouvert en fin de soirée chez des amis. Ce fut un tremblement de terre. C’était comme si des poivrons verts, mûrs et croquants, s’étaient retrouvés directement dans mon verre. J’ai cherché, par la suite, à détecter le poivron dans tout ce que je buvais pour me la péter en disant : « Cabernet Franc ! ». Évidemment, c’était plus complexe que cela. On trouve du Cabernet Franc dans des vins aux parfums de noisette, de roses, de violettes ou de fruits rouges. Le cépage ne fait pas tout, mais il dit beaucoup de vous (Robert Parker déteste le Cabernet Franc, par exemple). J’ai une familiarité avec ce cépage parce que je viens du froid ; il pousse au Canada en toute sérénité. Mais on n’est pas fait d’un seul bloc, et il m’arrive d’avoir des moments torrides avec le Gamay ou le Grenache — j’aime trop le poivre et l’acidité pour m’en passer.
J’ai joué au petit jeu des cépages-totems avec ceux qui, autour de moi, aiment boire (100% de mon entourage). Je trouve courageux ceux qui répondent par des cépages très répandus, car ils en connaissent la profondeur ; la rareté d’un cépage ne garantit pas qu’il puisse s’exprimer aussi richement qu’une Syrah… Mais j’ai souvent pensé que si quelqu’un répondait « Chenin », un cépage qui donne des vins intellectuels et délicats, aux goûts d’écorces de fruits jaunes et de desserts, il deviendrait mon prince charmant. Une pantoufle de vair, dans un autre genre de palais.
Certains cépages, pourtant, provoquent le contraire : une répulsion automatique. J’ai ce genre de problème avec le Viognier. C’est une aversion tellement nette, tellement affirmée que, même lorsqu’une cuvée n’en contient qu’un petit pourcentage, je le détecte immédiatement. Avec le temps, il m’est devenu plus facile de détecter un cépage honni qu’un cépage aimé. Comment l’expliquer ? On associe toujours le Viognier à des vins « floraux », au nez de fleurs blanches. Je trouve cette association beaucoup trop floue. La pivoine blanche n’a pas le même parfum que la marguerite ou le muguet ! Pour être plus précise, ce n’est pas la « fleur blanche » qui me dérange mais une puissante odeur de pollen, que l’on retrouve dans le miel non pasteurisé. Le miel est bon au goût, mais son odeur peut être âpre, poussiéreuse et amère. Le Viognier serait mon cépage-poison, le double négatif du Cabernet Franc. Le pire, le plus hypocrite, c’est qu’il vous trompe visuellement, avec sa solarité étincelante. J’imagine que ça aussi, ça en dit long sur soi.